Un revolver pas comme les autres

 

LE REVOLVER BAYARD MODELE 1926

 

Le revolver présenté ici est une production liégeoise, apparemment devenue très rare, selon certains même introuvable.

Classification assez curieuse, puisque nous en avons trouvé un, et qu'il porte un n° de série à 5 chiffres (26XXX). Mais l'honnêteté me commande malgré tout de reconnaître que c'est le premier qu'il m'est donné de voir en 40 ans de collection.

 

A première vue, on identifierait cette arme comme un Smith & Wesson Hand Ejector Second Model .32 de 1903, mais ce n'en est pas un.

Il s'agit d'un clone parfait, mis au point et réalisé par la firme Anciens Etablissements Pieper de Liège, propriétaire de la marque Bayard, et englobant deux brevets de l'ingénieur Joseph Declaye.

A l'exception de la forme générale d'une seule pièce interne et bien entendu des marquages, ce revolver est dans les moindres détails identique au S&W cité plus haut. Les photos 1 et 2 montrent bien la ressemblance parfaite avec le S&W des images 3 et 4.

 

Il s'agit d'un revolver à six coups de taille "police", chambré au calibre .32 Long S&W, à percussion centrale. Comme son homologue américain, ce revolver est équipé d'une platine "à l'envers", montée par le côté droit de l'arme, et comportant un barillet basculant à gauche, mais tournant dans le sens contraire des aiguilles d'une montre. L'éjection des douilles vides se fait par une pression vers l'intérieur sur l'axe de barillet, ce qui fait sortir l'étoile d'extraction (Hand Ejector).

 

L'arme est équipée de trois systèmes de sécurité différents, expliqués en détail plus loin, et prévenant tout risque de départ accidentel:

 

- Chien rebondissant

- Came de verrouillage du chien

- Came de blocage du mécanisme complet à l'ouverture du barillet

 

Le spécimen présenté est dans un état remarquable, pratiquement neuf, et n'a probablement que très peu voire jamais tiré.

Il porte sur le flanc gauche de la carcasse le logo Chevalier Bayard, un cartouche avec les initiales du fabricant A.E.P. au sommet des plaquettes de crosse en bakélite noire quadrillée, et les poinçons d'épreuve liégeois sur la face arrière du barillet.

Il a reçu un beau bronzage bleu foncé satiné, quant à lui fort différent de l'inimitable "glossy blue" des revolvers S&W, mais non moins beau. Seul le bouton-poussoir d'ouverture du barillet, situé sur le flanc gauche de la carcasse, est laissé poli blanc.

 

Sur le plan de la qualité, de l'ajustage des pièces et de la finition, l'arme n'a rien à envier à celle dont elle est le clone. On reconnaît au premier coup d'oeil un travail de haute qualité.

 

A la réception, je constate que mon exemplaire présente quelques petits "bobos", à savoir:

 

- En mode simple action, la came de blocage du barillet s'enfonce pour laisser ce dernier tourner, mais ne remonte pas toujours, ce qui est dangereux car le barillet peut tourner librement pendant le tir.

- La détente ne revient pas bien en place lorsqu'on la relâche, et bloque parfois complètement.

- Le chien percute mais ne descend pas assez bas, de sorte que le percuteur ne peut atteindre la cartouche

- La plaque de recouvrement est mal ajustée et mal fermée.

 

Ces petits défauts, inattendus sur une arme n'ayant pratiquement jamais été utilisée, ne peuvent à l'évidence être dus qu'à un démontage - et surtout un remontage - aussi inutile que maladroit de l'iconoclaste de service. Il se trouve en effet que ce revolver est très facile à démonter, mais difficile à remonter, et que sa marche est délicate à régler. Je suis donc obligé de le redémonter entièrement pour tout remettre en place comme il se doit.

 

NOMENCLATURE DES PIECES ET FONCTIONNEMENT

 

La photo 5 montre l'arme entièrement démontée, à l'exception du bouton d'ouverture et de la came de blocage du barillet.

Pour démonter cette dernière, il est nécessaire d'enlever l'axe de la détente, lequel est fiché dans la carcasse et maintenu en place par un minuscule clip qu'il vaut mieux ne pas risquer de casser ou de perdre.

 1 . Plaque de recouvrement avec bielle de came de verrouillage et canal de cette dernière

2. Came de verrouillage du chien - seule pièce de forme un peu différente de celle du S&W

3. Queue de détente avec son élévateur et sa biellette mobile à l'arrière

4. Bloc de détente avec son ressort de rappel

5. Vis de réglage de la tension du ressort de chien.

6. Came de blocage du barillet

7. Ressort de chien

8. Chien

9. Ressort de la came de blocage de barillet avec sa vis de maintien et son plot

10. Barillet et sa console

11. Carcasse

12. Plaquettes de crosse et vis de fixation

13. Vis de fixation de la plaque de recouvrement. La vis qui se trouve le plus à l'avant de la plaque, près de la came de blocage, sert également à maintenir en place la console du barillet en s'engageant dans la gorge visible à gauche sur l'axe de charnière de la console.

 

La photo 6 montre le ressort de la came de blocage, avec son plot-guide (1). Ce ressort est logé dans un canal oblique creusé dans la carcasse au-dessus du pontet (3) et appuie sur le bloc de la came, forçant celle-ci vers le haut. Il est lui-même maintenu en place par la petite vis (2), accessible de l'extérieur. Ce ressort peut donc facilement être remplacé sans démontage de l'arme, et, dans une moindre mesure, sa tension peut être réglée en tournant légèrement la vis de maintien.

En (4), le plot à ressort destiné à renforcer la tenue en place du barillet fermé (voir note in fine)

 

La photo 7 montre le détail du mécanisme de détente et sa position approximative dans la carcasse. La détente comporte à l'arrière une petite bielle articulée, dont la tête ronde vient se loger dans une petite coupelle pratiquée dans la face avant du bloc de détente.

Ce dernier contient le ressort de rappel de la détente, lequel s'appuie à son tour sur un plot fixé dans la carcasse. Le petit plot visible à l'arrière du bloc sert à manoeuvrer la came de verrouillage du chien, tandis que l'excroissance au-dessus sert, lors du retour de la détente, à faire reculer le chien de quelques millimètres (chien rebondissant).

Monté sur la détente, on peut voir l'élévateur. Ce dernier est maintenu poussé vers l'avant par un ressort plat logé dans l'épaisseur du corps de la détente. Pour monter l'élévateur sur la détente au remontage, il est nécessaire de pousser ce petit ressort vers le bas avec la pointe d'un petit tournevis. Le ressort est accessible par le haut du corps de la détente une fois celle-ci en place.

 

Sur la photo 8 on peut voir la bielle plate solidaire du bouton d'ouverture du barillet. Cette bielle comporte à l'avant une came cylindrique qui vient s'appuyer contre l'axe du barillet, et à l'arrière une autre came couvrant toute la largeur du bâti de crosse.

Lorsque le bouton est poussé vers l'avant, la came cylindrique en tête de la bielle avance et repousse l'extrémité de l'axe de barillet hors de son logement, permettant le basculement. Ce système oblige le tireur à se servir de ses deux mains. Il n'est pas possible de basculer le barillet d'une simple torsion du poignet comme sur les Colt.

Une fois le barillet basculé, la bielle repart en avant sous l'action de son ressort.

Ce faisant, sa came arrière vient se loger dans l'échancrure à l'arrière du chien, bloquant celui-ci à l'abattu et par là même tout le mécanisme, rendant impossible l'armement tant que le barillet n'est pas revenu en place.

De même, il est impossible de basculer le barillet avec le chien à l'armé, le corps de celui-ci bloquant la came et donc tout mouvement du bouton de verrouillage.

La photo 9 montre la position de la came lorsque le barillet est remis en place: l'axe du barillet repousse la bielle vers l'arrière, la came recule dans son logement du bâti de crosse, et permet ainsi au chien de basculer.

 

Enfin, la photo 10 montre la face interne de la plaque de recouvrement, creusée d'un canal oblique dans laquelle coulisse la came de verrouillage du chien. On distingue également en (1) la petite bielle triangulaire, connectée à la came de verrouillage par l'entremise d'une encoche au bas de celle-ci et activée par le bloc de détente.

 

Les croquis (pt) et surtout les fig 1 à 4 montrent bien le travail du système:

 

- En mode double action, la détente pressée s'incline autour de son axe; le bec de gâchette accroche le mentonnet du chien et le pousse vers le haut jusqu'au point de rupture, où le chien échappe à la gâchette et s'abat pour percuter.

- En mode simple action, lorsque le chien est tiré vers l'arrière, c'est son pied qui accroche la gâchette et tire la détente jusqu'au cran d'armé.

Quel que soit le mode, en s'inclinant, le bec avant de la détente va d'une part faire s'effacer une fraction de seconde la came de blocage du barillet, permettant à celui-ci de tourner. Le bec de détente passé, la came revient en place et s'engage automatiquement dans le cran de blocage suivant sur le barillet, retenant celui-ci en place avec une chambre alignée devant le canon.

 

Dans le même mouvement, la bielle à l'arrière de la queue de détente repousse en arrière le bloc et comprime le ressort de rappel. Ce mouvement du bloc provoque le basculage de la petite bielle triangulaire vers le bas, laquelle fait à son tour s'effacer la came de verrouillage vers le bas. Le canal de percussion est donc libre, et le chien peut percuter.

 

Lorsque la détente est relâchée, le ressort de rappel logé dans le bloc repousse celui-ci vers l'avant, ramenant la détente en place. Dans le même mouvement, l'excroissance au bout du bloc repousse le pied du chien, tirant du même coup le percuteur en-arrière, tandis que le plot engagé dans la bielle triangulaire fait basculer celle-ci vers le haut. Ceci fait remonter la came de verrouillage, dont la tête vient se placer juste devant la tête du chien, empêchant ainsi toute percussion accidentelle par choc ou chute de l'arme, tout en permettant un tir immédiat à tout moment.

Sécurité efficace et bien pensée; les pièces sont ici un rien différentes des correspondantes sur le S&W, mais elles ont exactement la même fonction.

 

Comme je l'ai déjà dit, le remontage de l'arme est délicat, surtout au niveau du mécanisme de détente. Il s'agit de travailler dans le bon ordre, en mettant la détente en place en premier. La remise en place du bloc sans outil spécifique pour comprimer le ressort de rappel, est difficile, car il faut arriver à comprimer le ressort tout en prenant soin de bien positionner la bielle de la détente.

Le ressort de la came de blocage du barillet doit rester parfaitement rectiligne, sinon il accrochera dans son canal et ne pourra pas toujours remplir sa fonction.

Le grand ressort de chien est facile à monter, mais sa tension, réglée par la petite vis visible à l'avant du bas de la crosse, doit être très ajustée à celle du ressort de rappel de détente, sinon cette dernière ne pourra pas revenir en place comme il faut.

Enfin, la partie la plus délicate est le remontage de la plaque de recouvrement avec le positionnement de sa bielle triangulaire. Celle-ci doit en effet être parfaitement alignée afin de pouvoir s'enclencher dans le plot du bloc du ressort de détente; sinon, tout le mécanisme est déréglé et il n'est pas possible de fermer la plaque convenablement. C'est ce qui dû arriver au bricoleur qui m'a précédé et a provoqué les petits bobos dont je parlais.

Enfin, il reste à remonter la console du barillet et à la maintenir avec la vis avant de la plaque de recouvrement, et remonter les plaquettes de crosse.

 

Un joli revolver de poche, bien fait, bien fini et quand même dissuasif avec sa cartouche de .32 Long S&W. (photos 11 et 12).

 

D'aucuns diront "ce n'est qu'une copie"; mais à l'instar des Chinois je dirais que si une copie inexacte et bon marché est une insulte, un clone parfait et avoué est un hommage au savoir-faire d'un autre.

 

NOTE

 On sait que lors de l'apparition des premiers revolvers à barillet basculant, les officiers de l'Ordnance de l'armée américaine avaient exigé des barillets tournant dans le sens contraire des aiguilles d'une montre. La raison de cette décision, qui obligea Colt et S&W à adapter voire à remplacer des machines, est jusqu'ici restée inconnue; mais beaucoup d'auteurs s'accordent à penser qu'il faut plutôt la chercher dans la vanité d'officiers surtout soucieux de laisser un souvenir dans l'histoire que dans la technique armurière. Si ces gens cherchaient la notoriété, ils peuvent dormir tranquilles, car aujourd'hui, plus d'un siècle plus tard, ils ont toujours leur réputation d'imbéciles incompétents.

S&W et Colt avaient dès le départ déclaré que le sens de rotation du barillet non seulement ne changeait rien aux performances de l'arme, mais encore, la platine à l'envers aurait tendance à pousser le barillet hors de son logement pendant le tir, ce dernier basculant toujours à gauche. Les gros pontes militaires ne voulant rien entendre, les deux fabricants se sont donc penchés sur ce nouveau problème technique.

S&W y a remédié en ajoutant sous le canon le plot à ressort, dans lequel la tête de l'axe d'éjecteur, dont la position est réglable en la vissant ou la dévissant, vient s'enclencher à la fermeture, doublant ainsi le verrouillage.

Pour les modèles suivants, les deux fabricants sont d'un commun accord revenus au système antérieur, sans plus se préoccuper de l'avis des militaires.

 

Avec mes remerciements à:

 

Alain Daubresse (Alantrigger), webmaster de ce site et propriétaire de ce petit bijou;

Guy Gadisseur (GG) pour les détails historiques concernant le fabricant liégeois;

Michel Druart pour les croquis et détails de brevets.

 

Marcel

 

 

A voir également, les photos du Webmaster

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