Restauration d'armes.

9.RAFRAICHISSEMENT D'UN REVOLVER LIÉGEOIS TYPE GÉRARD

Un de nos collaborateurs au site me confie un bien étrange revolver de fabrication liégeoise, que je n'avais personnellement encore jamais eu en mains.

Il s'agirait selon lui d'un revolver Gérard, du nom de l'inventeur de son système.

Le revolver est usé et sale, et son mécanisme ne fonctionne plus convenablement.

Avant de commencer tout travail,  j'ai cependant effectué quelques recherches et découvert entre autres, sur le revolver, le logo de Jules Kaufmann, armurier liégeois, fabricant et distributeur de ce modèle.

Il s'agirait donc d'une revolver à vocation militaire, souvent appelé "modèle brésilien", et ayant selon un de nos correspondants effectivement été utilisé dans l'armée brésilienne des années 1880-1890.

IDENTIFICATION

- Revolver à double et simple action, calibre .380 à percussion centrale (9 mm)

- Barillet à 6 coups

- La carcasse du revolver s'ouvre par une pression sur un bouton logé à l'avant du barillet, permettant au canon de basculer complètement vers le haut.

  Le canon est équipé d'une grosse bielle coulissante et enveloppante, fixée à l'arrière à la charnière du canon lui-même. A l'ouverture, en fin de course, cette bielle pousse l'axe du barillet vers l'intérieur, ce qui manoeuvre l'extracteur collectif en étoile. Une pression un peu plus forte fait revenir l'étoile en place.

Ce système d'éjection est en fait une variante de celui utilisé sur les revolvers à brisure Smith & Wesson n° 3 américains et sur les Webley britanniques fort populaires à cette époque, surtout chez les cavaliers.

Le système du Gérard est plus complexe, sans toutefois amener d'amélioration, car l'effet n'est pas plus rapide, tandis que les pressions diverses appliquées sur les charnières plus petites, ont une évidente tendance à provoquer une usure prématurée qui fait brinqueballer l'arme et la rend vite inutilisable.

Le grand nombre de pièces constituant cette arme rendent de plus sa fabrication onéreuse - que l'on me permette cette critique - ce qui n'est normalement pas vu d'un oeil favorable par les acheteurs militaires.

- Plaquettes en noyer (lisse ou quadrillé ?) façon ébène. Les plaquettes du nôtre sont originales car elles portent le même numéro que les autres pièces, mais un des propriétaires précédents les a "enjolivées" en y enfonçant toute une série de petits clous de cuivre, pas très bien alignés.

- Le revolver est patiné noir par les années et la crasse, mais un petit nettoyage au pétrole semble confirmer qu'à l'origine, il était simplement poli blanc. Je ne trouve nulle part la moindre trace de bronzage.

Cette arme est identique à l'exemplaire non terminé se trouvant au Musée d'Armes de Liège

MARQUAGES

- Sur chaque pièce y compris les plaquettes de crosse: n° 680

- Sur la carcasse côté gauche, devant le barillet: le nom de Jules Kaufmann en demi-cercle, et le mot LIÈGE frappé horizontalement dans le demi-cercle

 - Sur la face interne de la console du canon, autour de la chambre: une série de lettres ou de chiffres minuscules et illisibles pour moi; la lettre majuscule M surmontée d'une grosse couronne, écrite à l'anglaise.

- Aucun poinçon d'épreuve ni de contrôleur. Ceux-ci pourraient avoir été effacés par un polissage antérieur, mais il est plus vraisemblable que le fabricant destinant ces armes à l'exportation ait simplement omis de les faire éprouver pour économiser des frais. Un polissage antérieur aurait fait disparaître les autres marquages également.

EXAMEN APPROFONDI ET DIAGNOSTIC

Cette arme a visiblement été utilisée de manière intensive. Aucune trace de rouille ni de piquetage, mais nombreux autres défauts:

- Forte usure des charnières et du cliquet d'ouverture de la carcasse.

- Ressort de rappel de détente manquant

- Le chien ne rebondit plus

- L'extracteur ne fonctionne pas bien

- L'anneau de calotte a disparu et a été remplacé par un plot de cuivre

- La vis originale du ressort principal a été remplacée par une autre qui ne convient pas

- Plaquettes de crosse usées, abîmées et naïvement garnies de clous de cuivre - vis de fixation quasiment détruite

- Grosse couche de saleté durcie.

TRAVAUX A EFFECTUER

Il s'agit de redonner à cette arme un meilleur aspect, mais il est évident qu'une restauration complète est ici hors de question. Je vais refaire un ressort de rappel et rendre le mécanisme opérationnel, et nettoyer le revolver convenablement.

Quant aux plaquettes, je vais réparer le trou de la vis, aplanir les têtes protubérantes des clous de cuivre et reponcer le tout. Ces plaquettes étant celles d'origine, marquées au même numéro que l'arme, il me semble préférable de les garder plutôt que de les remplacer par des copies. Seule la vis devra être remplacée, car elle est totalement pourrie.

DEMONTAGE

Dès que je commence le démontage, je constate que le ressort principal va me donner du fil à retordre. Il s'agit d'un ressort plat à fourche, fixé dans le bas de l'avant du bâti de crosse par une vis. Sur notre revolver, la vis de fixation originale a disparu et a été remplacée par une vis moderne, qu'on a cru bon, après serrage, d'aplatir des deux côtés, de sorte qu'il est impossible de la dévisser. La tête et la pointe ont été aplaties au marteau, ce qui nous donne le même effet qu'un rivet.

Je suis cependant obligé de démonter le ressort si je veux démonter le reste du revolver.

Il m'est impossible de couper la vis au chalumeau, parce que la chaleur détremperait le ressort; par ailleurs, je ne peux pas non plus couper la vis au burin, car je risquerais de casser le ressort ou même le bâti de crosse.

Il ne me reste donc qu'une seule ressource: le bâti de crosse coincé dans mon étau,  j'introduis la lame de ma scie côté interne et je pratique une nouvelle fente dans ce qui reste de la tête de la vis.

Ensuite, côté extérieur, je lime la bosse que forme la pointe aplatie de la vis jusqu'au ras du bâti de crosse.

Ceci fait, j'enduis le tout d'huile pénétrante, que je laisse travailler pendant un petit temps; puis j'essaye de débloquer la vis en introduisant un gros tournevis dans la nouvelle fente.

Ca bouge tout doucement, mais je dois quand même utiliser un chasse-goupille pour arriver à extraire cette satanée vis.

Elle finit par sortir, et je constate avec plaisir que je n'ai ni cassé le ressort, ni même perdu le pas de vis original du bâti de crosse.

Une fois le ressort enlevé, le reste du revolver se démonte sans problème.

GRIFFE DE MAINTIEN DU BARILLET

Les photos 8 et 9 montrent l'arrière de la console du canon, avec le rebord enveloppant qui retient le barillet au moment de la sortie de l'étoile d'extraction. Le barillet comporte à l'avant, autour du trou de son axe, un bourrelet qui vient se loger sous le rebord de la console.

Les pièces accusant beaucoup de jeu aux charnières, et l'usure aidant, le rebord ne maintient plus le barillet en place.

Je ne peux ici qu'essayer de réduire le jeu des pièces, ce que je fais en chauffant légèrement la console du canon et en resserrant la prise du rebord en le tapotant avec un petit marteau. J'évite ici de chauffer trop fort pour ne pas amollir le métal; il faut juste chauffer un peu pour qu'il accepte de plier sans casser.

A l'essai, ce petit traitement se montre efficace, car la griffe retient bien le barillet. J'ai fait plusieurs essais en remontant le barillet sur le canon et en manoeuvrant le mécanisme à la main.

Au passage, j'ai relevé le logo de Jules Kauffmann sur le côté gauche de la console.

RAPPEL DE DÉTENTE

Comme c'est si souvent le cas, le ressort de détente original de ce revolver a disparu, et a été remplacé par un autre, qui non seulement est mal plié, mais également mal trempé. Il ne sert à rien.

A ma manière habituelle, je façonne un ressort en V à la bonne mesure dans un morceau d'acier à ressort non recuit; je chauffe au rouge cerise et lorsque le métal commence à faire des étincelles, je trempe dur en le plongeant dans l'eau froide.

Ensuite je polis mon ressort, et je fais un "revenu" à l'huile: l'ayant posé dans une écuelle de métal sur mon réchaud, je le laisse chauffer doucement jusqu'à ce qu'il se colore en bleu foncé mat, puis je le refroidis en le jetant dans une tasse remplie d'huile de moteur. Une fois refroidi, il se montre fort et élastique, et je n'ai plus qu'à le monter en place.

LEVIER DE REBONDISSEMENT DU CHIEN

Je constate que le levier de rebondissement du chien - ce petit levier qui est monté en dessous et en arrière de la détente - est usé au point qu'il n'a plus d'effet. Je pourrais éventuellement en refaire un neuf, mais je décide de le conserver parce qu'il est également marqué au n° 680 comme le reste des pièces de l'arme. Le problème est que l'usure l'a un peu raccourci, de sorte que sa partie avant ne vient pratiquement plus en contact avec la courbe arrière du bloc détente.

Pour remédier à ce petit problème, je vais coller une petite entretoise de métal sur la tête du levier, de manière à allonger sa portance d'environ 1/2 millimètre.

Je découpe une petite pièce de tôle plate, que je colle sur la tête du levier à l'aide d'une colle époxy à 2 composantes.

VIS DE FIXATION DU RESSORT PRINCIPAL

Ayant déniché dans ma réserve une vis d'horlogerie à la bonne mesure, de même époque et au même pas que l'originale, je lime sa tête trop large en carré, comme c'est souvent l'usage sur les revolvers liégeois de l'époque. La tête carrée de la vis permet un serrage plus précis à l'aide d'une clef anglaise qu'avec un tournevis, que l'on est obligé de tenir en oblique à cause de la forme du bâti de crosse. Je trempe ma vis pour la rendre plus solide.

AGE DU MÉCANISME

La colle de l'entretoise une fois durcie, je remonte le mécanisme dans la crosse. Il n'y a aucun problème au niveau du ressort principal. Par contre, je constate que le levier de rebondissement ne recule pas le chien aussi loin qu'à l'origine. Il recule suffisamment pour que le percuteur s'efface dans le canal, mais l'usure extrême au niveau de l'axe du levier crée un jeu qui empêche un recul plus prononcé.

ANNEAU DE CALOTTE

Ici pas de discussion. L'anneau de calotte original a été perdu, et remplacé par un plot de cuivre ou de laiton provenant de Dieu sait quoi.

J'enlève ce plot, que je vais remplacer par un anneau de calotte pouvant tourner dans toutes les directions.

Je commence par fabriquer un nouveau plot comportant une tête ronde percée d'un trou. Je façonne cette pièce sans problème à la lime, en partant d'un tronçon de clou de charpente (Pointe de Paris grosse) que je place dans le mandrin de ma perceuse électrique, fixée quant à elle dans mon étau. Je donne à la tête une forme ronde et un rebord qui viendra couvrir le trou, et je prévois côté interne une gorge sur tout le pourtour.

Cette gorge doit se trouver au ras de la calotte côté interne, et servira au passage d'un petit ressort en U, qui maintiendra le plot en place tout en lui permettant de pivoter sur lui-même.

Je confectionne ensuite l'anneau lui-même à partir d'un gros ressort à boudin dont j'ai coupé une spire, que j'ai détrempée pour pouvoir la plier facilement.

Je place les deux extrémités de mon anneau dans le trou de la tête du plot, je serre avec une pince pour les rapprocher, et voilà. Il ne me reste plus qu'à tremper le tout à nouveau.

Je confectionne ensuite un petit ressort plat en forme de U, que je coupe dans une portion de ressort d'horloge; et voilà, il ne me reste plus qu'à monter le tout sur l'arme. L'anneau pivote sur le plot, et celui-ci pivote sur lui-même à 360° comme il se doit.

RÉPARATION DES PLAQUETTES DE CROSSE

Comme dit en début d'article, les plaquettes de ce revolver ont été garnies de petits clous de cuivre, visiblement par un amateur qui voulait imiter le travail vu sur certaines armes de luxe, ou simplement personnaliser sa propre arme.

Il va sans dire qu'extraire ces petits clous un à un tout en préservant le bois des plaquettes, est une gageure.

Par contre, les têtes de ces clous sont protubérantes et rendent la prise en main désagréable, tandis que l'aspect est plutôt "négligé". Comme il n'est pas non plus question de les enfoncer plus loin dans le bois sans risque de fendre ce dernier, je décide donc de les aplanir à la lime et au papier de verre, de façon à les amener à niveau avec le bois.

Le bois des plaquettes se révélant cependant fragile, je ne prendrai pas trop de risques et ne travaillerai pas trop profondément.

Je pense cependant avoir amélioré l'aspect général des plaquettes.

La plaquette de droite est endommagée au niveau de l'écusson de la vis: le bois est "mangé" tout autour, et la vis elle-même est complètement détruite et irrécupérable. Je suis donc obligé d'en fabriquer une autre à partir d'une vis moderne, ce qui n'est pas d'une grande difficulté.

Pour la réparation du trou de la plaquette, je commence par agrandir ce dernier à l'aide d'une perceuse, de sorte à obtenir un trou bien rond, que je bouche ensuite à l'aide d'un cylindre de bois que j'ai façonné dans un morceau de noyer, en tenant compte du sens du fil du bois (photo 31). Je taille ce petit cylindre assez long pour qu'il puisse s'enfoncer sur toute l'épaisseur de la plaquette, et assez épais pour qu'il serre bien dans le trou. Je l'enduis d'un peu de colle, puis je l'enfonce en place.

Une fois la colle séchée, j'égalise mon enture à la lime et au papier de verre.

Il me faut maintenant forer un nouveau trou de passage de la vis, ce que je fais en utilisant une vrille à main avec les deux plaquettes en place sur l'arme: je passe ma vrille par le trou de la plaquette de gauche et peux ainsi entamer le trou à l'endroit exact dans celle de droite, par l'intérieur.

Ce travail terminé, je refaçonne un peu l'écusson de la vis, qui est également une pièce d'amateur pourvue de deux tenons latéraux. Je fraise prudemment le trou de la plaquette côté extérieur, et fais une découpe pour les tenons à l'aide d'un petit burin. Ensuite j'enfonce prudemment l'écusson en place, muni comme d'habitude d'une goutte de vernis pour le coller en place.

REMONTAGE FINAL

Voilà, les travaux sont terminés et il ne me reste plus qu'à remonter l'arme.

Je ne suis pas arrivé à rattraper le jeu dans les nombreuses charnières, et l'arme est toujours un peu brinquebalante; mais je pense quand même pouvoir dire qu'elle a retrouvé une meilleure forme.

En tout cas, le système d'ouverture et d'éjection des douilles fonctionne normalement, ainsi que le mécanisme de tir, et je pense que c'est là le principal. Même dans son état d'usure actuel, ce revolver à système rare conserve tout son intérêt.

Marcel

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