Restauration d'armes.

7. REVOLVER "Lefaucheux"

REPARATION D'UN REVOLVER LEFAUCHEUX  TRIPLE ACTION DU SECOND TYPE

Notre ami et collaborateur Philippe m'a confié un très joli petit revolver à broche Lefaucheux, à triple action, qui ne fonctionne plus et qu'il faut donc réparer.

IDENTIFICATION

Revolver à broche de luxe, calibre 7mm

Second type à crosse carrée et platine à triple action

Carcasse jaspée et gravée à la main, barillet et canon bleus, chien, détente et vis nickelés. Détente repliable classique.

Plaquettes de crosse en ébène véritable, finement polies. Écussons et vis traversière gravés.

Barillet protégé par un bouclier au niveau des broches, sur tout le pourtour

Canon rond, chambre octogonale. Le canon est rayé 5 à droite

Finition de luxe, ajustages parfaits. Comme tous les 2ième types, cette arme est un bijou de luxe doublé d'une arme d'excellente qualité. Aucune trace de rouille ni de piquetage.

Marquages

Chambre côté gauche: E. LEFAUCHEUX INVon BREVETE" en deux lignes

Carcasse côté gauche, sous le barillet: n° 240139

Pourtour du barillet: ELG* dans un ovale et initiale du contrôleur N couronnée (Epreuve liégeoise d'avant 1877)

Chambre côté droit: initiale du contrôleur N couronnée

A l'intérieur de chaque plaquette de crosse sont frappées les initiales JM

Aucun autre marquage.

Origine

Il y a plusieurs possibilités:

 1. Fabrication par Eugène Lefaucheux et envoi à Liège pour épreuve. Eugène a fait éprouver plusieurs de ses armes à Liège parce que l'épreuve de Liège était à cette époque la plus sévère au monde, et donnait donc une garantie supplémentaire de qualité.

2. Fabrication par Eugène Lefaucheux et vente de l'arme "en blanc" à un de ses correspondants liégeois (Francotte, Clément, Janssen...) qui a terminé l'arme, l'a fait passer à l'épreuve, puis l'a terminée pour la vente en Belgique. Dans ce cas l'arme a été gravée et finie à Liège.

3. Fabrication liégeoise sous licence Lefaucheux, avec obligation d'indiquer le nom de E. Lefaucheux sur l'arme. Le propriétaire de l'arme pense que cette option est la bonne.

Note

Pour ma part, et sans engager de polémique, je penche plutôt pour une fabrication parisienne.

Dans un cas comme dans l'autre, le n° frappé sur la carcasse n'est pas un n° de série, mais un code rappelant le contrat et identifiant l'atelier qui a construit ce revolver.

J'ai moi-même une arme semblable dans ma collection, qui en plus porte un n° commençant par 67suivi d'un point puis des autres chiffres. Selon Taylerson dans son livre "The Revolver 1865-1888", le chiffre 67 correspond à l'année de fabrication (1867).

Malheureusement, le n° frappé sur le revolver de Philippe ne porte pas de millésime identifiable, mais je pense qu'il doit dater des années 1860.

Photo 1, revolver tel que reçu

EXAMEN APPROFONDI ET DIAGNOSTIC

Je constate que le ressort de rappel de détente est cassé ou absent, et que le barillet ne tourne que lorsque le revolver est pointé vers le sol, ce qui indique que le ressort de maintien de l'élévateur est également cassé ou absent. Le chien ne tient pas au cran d'armé, ou pas bien.

Le démontage total s'effectue sans aucune difficulté, toutes les vis se laissant dévisser sans problème. Je fais ici très attention à ne pas ripper pour ne pas abîmer les fentes des têtes des vis, qui semblent n'avoir jamais été démontées.

Le démontage complet fait apparaître les défauts suivants:

- Ressort de rappel de détente et ressort de maintien de l'élévateur manquants

- Cran d'armé du chien un peu émoussé

- Un peu de jeu sur l'axe du levier de gâchette

A première vue, la réparation du revolver semble donc relativement simple.

Photo 2: arme démontée

Note

La photo 2 montre clairement le grand nombre de pièces constitutives de ce revolver.

On remarquera entre autres les détails suivants:

- Le bâti de crosse n'est pas solidaire de la carcasse, mais vient se visser sur celle-ci par deux vis sur le dessus (invisibles sous les plaquettes de crosse) et une autre sur la plaque de couche, sous le ressort. Cette disposition est présente sur tous les 2è types et rappelle un peu le système des revolvers américains du type Colt Navy 1851. Elle a le grand avantage de rendre le grand ressort beaucoup plus accessible.

- La carcasse elle-même est constituée de deux parties distinctes: la partie supérieure comporte le bouclier arrière, l'axe de barillet et le chien; la partie inférieure contient le reste du mécanisme de la platine. Les deux parties son fixées ensemble par deux vis qui entrent dans la carcasse par en dessous, de part et d'autre de la détente.

L'ajustage des pièces est tel que lorsque l'arme est montée, les joints sont pratiquement invisibles. Cette caractéristique est propre à tous les revolvers du second type, et présente ici aussi l'avantage de rendre le mécanisme interne beaucoup plus accessible.

- Le mécanisme lui-même est très différent du 3 pièces classique des revolvers des 1er et 3è types:

  * Le mentonnet n'est pas fixé au chien, mais bien sur le dessus du bloc détente. Il a la forme d'un crochet et agit sur le chien dans le sens vertical, aussi bien de bas en haut que de haut en bas.

  * Le pied du chien a une forme courbe et comporte le cran d'armé à l'arrière au lieu de l'avant. L'avant présente un plot de section carrée, qui vient s'enclencher dans le crochet du mentonnet.

  * Le levier de gâchette est séparé et se trouve à l'arrière du mécanisme. Il a son ressort propre, fixé sur le bâti inférieur.

  * Le ressort de maintien de l'élévateur est fixé au haut de ce dernier au lieu de la base, et agit autant sur le mentonnet que sur l'élévateur. Le mentonnet et l'élévateur ont un axe commun qui les relie au haut du bloc détente.

  * Le bloc détente comporte à l'avant le classique bec qui s'appuie sur le ressort de rappel, et la classique excroissance sur la partie supérieure, qui sert de came de blocage du barillet.

  * La queue de détente présente sur son arrière un ergot, qui vient appuyer sur l'avant du levier de gâchette. Sur certains modèles cet ergot est remplacé par une petite tringle ayant la même fonction.

Les revolvers du 2ème type présentent toujours une finition parfaite, et des pièces internes soigneusement ajustées et ne présentant aucune trace d'outil.

Sur celui-ci, on peut même voir que la petite languette de maintien du ressort, en haut de l'élévateur, est en fait constituée d’un petit bloc séparé, encastré dans la tête de l'élévateur. Ce bloc n'est pas trempé et permet donc de plier la languette pour serrer le ressort, alors que le reste de l'élévateur est trempé et donc bien moins sujet à usure. Pas mal pensé, non ?

FONCTIONNEMENT

La photo 3 montre les pièces dans leur position approximative à l'intérieur de la platine.

A l'avant du bloc détente, on voit le trou de l'axe, le bec de "retour" et sur la partie supérieure, la came de blocage du barillet.

Juste derrière se trouve l'oeilleton sur lequel s'articulent le mentonnet et l'élévateur, tous deux maintenus par l'axe transversal fixé sur l'élévateur. (Ici toujours sans ressort).

Le ressort de maintien de l'élévateur, en forme de L, passe derrière le mentonnet et le repousse vers l'avant à la rencontre du chien.

La partie haute du mentonnet comporte un crochet qui s'enclenche sur le plot carré à l'avant du pied du chien.

A l'arrière du chien on peut voir la chaînette du grand ressort, et juste en dessous le cran d'armé, ici engagé dans celui du levier de gâchette.

La petite pièce triangulaire derrière et en dessous du chien, est le levier de gâchette. Cette pièce comporte un axe propre et repose sur un ressort plat fixé à la partie inférieure du bâti. Elle comporte un cran à l'arrière, et une languette à l'avant, qui est repoussée vers le haut par l'ergot qu'on aperçoit sur l'arrière de la queue de détente.

Simple action: armer le chien de façon classique avec le pouce et appuyer fermement sur la détente. Lorsque le chien est tiré en arrière, il accroche la partie supérieure du crochet du mentonnet, qui entraîne la détente et l'élévateur. Le cran d'armé du chien s'engage dans celui du levier de gâchette. Au départ du coup, l'ergot à l'arrière de la détente repousse le levier de gâchette. Celui-ci s'efface vers le bas et libère le chien. En même temps, le chien se dissocie du mentonnet. Lorsque le tireur relâche la détente, le mentonnet, repoussé vers le chien par le ressort de l'élévateur, s'enclenche à nouveau sur le chien.

Double action: appuyer sur la détente comme sur tout autre revolver. Cette fois c'est la partie inférieure du crochet du mentonnet qui pousse le chien en arrière; l'ergot de la queue de détente fait s'effacer le levier de gâchette et le chien percute librement dès que le mentonnet s'en dissocie. Au retour, les pièces reviennent en place comme ci-dessus.

Triple action: appuyer lentement sur la détente jusqu'à ce que le chien vienne s'engager au cran d'armé et y reste. Cette disposition donne au tireur l'avantage de pouvoir tirer en double action sans perdre sa visée. On peut également armer le chien avec le pouce, puis appuyer doucement sur la détente jusqu'à ce qu'on entende un clic. A ce moment, le chien n'est maintenu à l'armé que par le crochet du mentonnet, et le tireur peut soit le relâcher doucement s'il décide de ne pas tirer, soit faire partir le coup en appuyant légèrement sur la détente. Dans les deux cas, le barillet est bloqué en position.

Je précise tout de suite que l'armement du chien en triple action, en appuyant seulement sur la détente, demande non seulement un réglage parfait de la marche du revolver, mais également un doigté que je n'ai pas. J'ai essayé une dizaine de fois, mais ne suis parvenu qu'une fois à armer le chien de cette façon.

On peut également s'interroger sur l'utilité d'une telle fonction sur une arme de défense de poche, dont la précision est très aléatoire au-delà de 10 mètres. Je pense qu'il s'agit en fait d'un argument de vente, sans doute efficace à une époque ou il était plus normal de porter une arme que de ne pas en avoir.

On peut faire sur ce plan une comparaison avec nos modernes téléphones portables: ils ont maintenant des caméras, des liens internet, la radio, la météo, la fonction de réveil, et certains modèles permettent même de téléphoner...

NETTOYAGE

Les pièces sont couvertes d'une mince couche de cambouis, constitué d'huile et de poussière. Afin de ne rien abîmer de la patine et des couleurs, je les nettoie simplement avec un chiffon imbibé de trichloréthylène. Ce traitement ravive les belles couleurs brunes du jaspage de la carcasse (95 %) et le bleu glacé brillant du barillet. Le canon a malheureusement perdu pas mal de bleu et a viré au brun. Les pièces internes sont en blanc, le chien, la détente et les vis sont nickelés. Le trichlo enlève sans problème toutes les taches de cambouis sans rien abîmer.

RESSORT DE RAPPEL DE DETENTE

Je ne vais pas ici m'étendre sur ce point, que j'ai déjà développé dans plusieurs articles précédents. Comme d'habitude, je détermine les dimensions de mon ressort à l'aide d'un compas, puis je façonne la pièce dans un morceau de latte d'acier à ressort non recuit; je le plie en forme puis je le mets en place dans l'arme pour l'ajuster.

Ensuite je l'amène à la bonne épaisseur à la lime, puis je trempe dur et je fais un retour à l'huile.

Je précise toutefois que, s'agissant d'un revolver à triple action, l'épaisseur de ce ressort joue un grand rôle dans la marche de l'arme. Un rien trop épais, et hop, plus de triple ni de simple action. J'ai donc aminci mon ressort au maximum; et à la trempe, je chauffe jusqu'au rouge cerise franc, et je ne le plonge dans l'eau que lorsque le métal produit  des étincelles, pour le tremper bien dur.

Je fais un revenu à feu doux, en laissant la pièce venir doucement au bleu mat sombre avant de la plonger dans l'huile.

Je prends aussi la peine de polir mon ressort pour effacer mes traces de lime, qui sont autant de lignes de brisure sur une pièce aussi mince.

J'ai craint de casser et de devoir recommencer, mais non: réussi du premier coup, mon ressort est doux et fort comme il convient. Avec un peu de patience, on y arrive toujours...

RESSORT DE MAINTIEN DE L'ÉLÉVATEUR

Au lieu d'une simple petite languette droite, le ressort de maintien de l'élévateur a ici la forme d'un L, dont la branche horizontale passe derrière le mentonnet pour le repousser vers l'avant, à la rencontre du chien. Ce ressort doit donc être assez fort, tout en étant très mince.

J'ai déjà dit que je m'étais procuré pour deux fois rien une série de ressorts en spirale de pendules et réveils, et je vais ici à nouveau me servir de ce matériel pour façonner le ressort dont j'ai besoin.

Photo 04

J'ai pris un ressort d'une largeur d'environ 1 cm, en ai cassé un morceau, et j'ai façonné mon ressort en L à la lime dans ce morceau (Photo 04). La taille du ressort et son ajustage à mesure (environ 2 mm de large) ne demandent qu'une quinzaine de minutes.

Il n'y a ici aucun besoin de tremper, les ressorts d'horloge étant déjà trempés et suffisamment minces pour permettre de les travailler à la lime.

Je plie un rien le haut de mon ressort, et le glisse dans la fente prévue à cet effet dans la tête de l'élévateur. Je serre avec une pince, et comme d'habitude j'ajoute une goutte de vernis pour garantir la fixation.

photos 05 et 06

CRAN D'ARME DU CHIEN ET JEU DU LEVIER DE GACHETTE

Le cran d'armé du chien - et le correspondant dans le levier de détente - sont un peu émoussés et ne tiennent pas bien. Il me suffit de les retracer un peu plus profondément à l'aide d'une lime suisse de section triangulaire. Cette opération doit se faire prudemment, afin de n'affaiblir aucune pièce ni de tracer un cran trop profond, qui gênerait le fonctionnement.

Le jeu dans le levier de gâchette se situe au niveau de son axe, dont le trou s'est un peu agrandi. De ce fait, le levier  a tendance à se mettre de travers et à accrocher la paroi du bâti, ce qui provoque un durcissement et un choc désagréables dans la détente. Ne pouvant remédier à cet agrandissement, je résous le problème en limant un peu le côté arrière du levier de gâchette pour qu'il coulisse librement dans son logement.

Photo 07

La photo 07 montre le bâti inférieur, avec le levier de gâchette, le bloc détente et le ressort de rappel montés en place.

REMONTAGE ET ESSAI

Comme à mon habitude, je remonte les pièces du mécanisme afin de vérifier le fonctionnement et la marche.

Photo 08

Je commence par mettre en place l'élévateur et le mentonnet (photo 08), et ensuite je remonte le bâti supérieur, en prenant soin de placer l'élévateur dans son canal de guidage et le mentonnet en arrière du bouclier.

Photos 09 et 10

Ensuite je remonte le chien en place, en accrochant son plot avant dans le crochet du mentonnet (photo 09 et 10)

Puis je remets en place le grand ressort et serre toutes les vis à fond.

Je peux maintenant faire fonctionner le mécanisme tout en observant ce qui se passe.

Le chien est un peu dur à l'armé et engage difficilement le cran du levier de gâchette; un tour en arrière de la vis de maintien du grand ressort suffit à régler la tension et à  résoudre ce petit problème.

REMONTAGE FINAL

Le mécanisme fonctionnant parfaitement, je n'ai plus besoin de démonter à nouveau. Je remonte donc d'abord le bâti de crosse et les plaquettes, puis je remets en place le barillet et le canon.

Un dernier essai me confirme l'alignement parfait des chambres du barillet avec le canon.

Photo 11

Photo 12

Photo 13

Et voilà, réparation terminée. (Photos 11 à 13)

J'ai eu beaucoup de plaisir à remettre cette belle petite arme en état, et je pense que son propriétaire sera satisfait.

ENSEMBLE COMPARATIF

 

Photo 15

La photo 15 montre notre patient entouré de deux autres 2èmes modèles qui figurent dans ma collection. Tous trois sont au calibre 7 mm.

Celui du dessus, qui se donne des allures d'arme de compétition avec son canon exceptionnellement lourd et long, a les mêmes marquages Lefaucheux et les mêmes poinçons liégeois que celui que je viens de réparer, avec en plus le millésime de 1867 compris dans son n° de série.

Il est également à triple action, mais comporte à l'arrière de la détente une tringlette au lieu d'un ergot. Pour le reste, son mécanisme interne est identique.

Celui du bas est un "double action unique" et comporte toutes les signatures de Lefaucheux: la mention E. Lefaucheux breveté, Paris sur le pan supérieur du canon, le n° de série précédé du logo "pistolet brisé", la mention "Breveté SGDG" sur le bloc détente, et les poinçons d'épreuve de Paris.

La question de savoir où les deux premiers ont été produits - Liège ou Paris - reste ouverte, mais quoi qu'il en soit, ces trois revolvers sont d'excellents exemples des capacités des armuriers belges et français du milieu du 19ème siècle.

Marcel

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